Ces campagnes que d’aucuns nomment déserts


Tout le monde ou presque a déjà entendu parler du Larzac. Mais quel est cet endroit, souvent évoqué, et selon les points de vue jugé fracturé, triste étendue rongée par les moutons, ou selon Philippe Artières, auteur d’un livre intitulé « Le peuple du Larzac » édité à La Découverte, un territoire fier et résistant ? Toute la complexité est là. Transcrire des sols en paysages est une tâche difficile et reste subjectif. Les espaces naturels évoluent et deviennent ce que les hommes en font. A l’origine, le toponyme Larzac désignait des territoires situés dans le nord d’un vaste plateau calcaire datant de l’ère jurassique que l'on retrouve dans le nom de l'église ruinée de Saint-Étienne de Larzac.

Du XIIe au XIVe siècle, l’Ordre du Temple, puis celui des Hospitaliers, firent prospérer des villages implantés dans des recoins stratégiques d’un Larzac traversé par trois voies romaines. Cinq lieux médiévaux fortifiés découverts en témoignent. Philippe Artières définit aussi l’amplitude du pouvoir pastoral, comme un des éléments clefs de la fabrication exponentielle de fromages. Et à partir du XIX siècle, exclusivement du Roquefort. Millau, sous-préfecture de l’Aveyron et capitale des Causses, a joué un rôle important dans l’industrie et le commerce de la ganterie. Le succès du Roquefort a généré l’obligation de tuer les agneaux afin d’utiliser le lait de leur mère, et mettre à disposition de l’industrie du gant une grande quantité de peaux. « En 1931, Millau ne compte pas moins de soixante-cinq usines de gants, où sont employés plus de 2 600 ouvriers et ouvrières ».

La société disciplinaire fait irruption sur le Larzac. Dans cette campagne, une institution de redressement de l’enfance irrégulière voit alors le jour. Ce sera ensuite l’installation d’un camp militaire. La guerre civile espagnole provoquera l’arrivée de réfugiés. Des camps destinés à les «héberger» seront érigés. Des exactions seront commises durant La Seconde Guerre mondiale. De nombreux juifs se cacheront dans les bourgs et dans les fermes. Si l’Aveyron est une terre de maquisards, ce n’est pas le cas du Larzac, plateau désertique peu favorable à la clandestinité et sur lequel s’installent en 1943, dans le périmètre du camp militaire, 1 500 soldats allemands protégés par des blockhaus équipés de batteries anti-aériennes. Après cela, un camp de « dénazification » s’ouvrira. On déplore encore d’autres lieux d’enfermement, des Algériens, des Harkis eurent à en souffrir.

Hôte du Festival International de Géographie, où il participait dimanche après-midi à une rencontre animée par Paul Didier, chef de projet, Philippe Artières porte un large éclairage sur la lutte des paysans contre l’extension du camp militaire. L’Histoire construit et déconstruit. Les territoires sont dotés de résilience, de vitalité sociale et culturelle. Le Larzac est de ceux-là.

ces campagnes que daucuns nomment déserts 02 10 2022